Le point d'orgue des Grandes Vacances, c'était la fête au village. Trois jours d'animations diverses, la loterie avec poulet vivant à la clef, le casse-bouteille et la promesse d'une bouteille de mousseux pour les plus adroits, les parties de pétanques dans toutes les rues, la course en sacs pour les enfants...
Mais ce qu'on attendait nous, les grands de 12 ou 13 ans, c'était le bal du soir.
Tout d'abord l'estrade poussiéreuse montée sur la place ne servait qu'à accueillir nos pitreries. Mais la nuit tombée, elle attirait tous les regards quand, illuminée, elle s'apprêtait à accueillir l'Orchestre ! Après les traditionnels tangos et paso-dobles, qui donnaient un petit air de feria au village, les musiciens allaient-ils jouer nos tubes préférés ? Je me souviens de « l'été s'ra chaud, l'été s'ra chaud, dans les tee-shirts et les maillots ! ». Et tant d'autres rengaines magnifiques...
Allait-on échapper aux orages fracassants qui couronnaient souvent les trop chaudes journées du mois d'août et interrompaient sans pitié les festivités, nous contraignant à nous asseoir lugubrement sur les marches d'un escalier en espérant que le ciel se calme et que les musiciens éclipsés à l'auberge reviennent et ne nous laissent pas dans le vent avec nos espoirs déçus.
Chaque année nous nous poussions du coude aux premières mesures de nos chansons préférées, « Allez, on ouvre le bal ! » mais nous nous faisions toujours doubler par plus délurées que nous et nous nous fondions discrètement dans la foule et c'était mieux comme ça, parce qu'on avait trop la honte finalement... Et l'on « twistait à Saint-Tropez », «on l'aimait à mourir», on « bebapelulait » et « on tombait en esclavage de son sourire, de son visage »...
Et si on n'osait pas danser le premier soir, il nous restait le lendemain et le surlendemain pour s'entraîner chez soi devant la glace. On pouvait aussi rester sur l'escalier pour critiquer les autres (qui faisaient ce qu'ils pouvaient sur la piste) et battre la mesure d'un air qui se voulait décontracté (non, non, je ne m'ennuie pas et je n'attends surtout pas qu'un certain garçon m'invite à danser).
Moi, le garçon en question, j'avais essayé de l'impressionner l'après-midi même en sautant tout habillée dans le Jabron du haut du barrage alors que nous nous promenions avec la bande mais il m'avait regardée d'un air bizarre et le soir de la fête, il s'était rapproché d'une autre qui avait des arguments plus « solides » que les miens.
Ça ne serait pas cette année-là que je connaîtrais le frisson de l'amour mais ce n'était pas grave... Il y avait les chansons, il y avait les promesses, et de toutes manières « moi, je me sentais d'ailleurs » comme disait Pierre Bachelet...
D. P.
Publié dans Le Giron n° 13 (janvier 2008)