Ce qui est frappant quand on sort d’une rencontre avec Suzanne Brunet, c’est le sentiment d’avoir eu en face de soi quelqu’un d’authentique, qui ne joue pas à un personnage. Au fur et à mesure qu’elle parle, en présence de l’une de ses filles, Françoise Chaix et de sa petite fille Céline Chaix, elle évoque, sans s’en douter la vraie culture du monde paysan que l’on oublie, parce que le monde change, parce que peu de personnes aujourd’hui savent raconter. Pourtant elle est arrivée à Puygiron venant de la ville en 1946 après avoir vécu en Seine et Oise où elle est née en 1921. Certes, elle n’était pas sans connaître le sud de la France puisque ses parents étaient originaires de Bagnoles sur Cèze et qu’elle-même a été pensionnaire à Bourg Saint Andéol où elle passa son brevet. Suzanne rappelle combien la guerre de 14-18 a éprouvé les familles françaises et de ce fait les familles rurales se sont trouvées sans hommes. Son père sera le seul des cinq frères à revenir vivant de la « der des der ». Il revint mais blessé.
Dans la mémoire de la famille, l’état d’agriculteur était resté toujours vivant, celui du grand-père, même si le père de Suzanne avait exercé le métier de forgeron avant de devenir fonctionnaire des postes. Aussi il était dans la logique des choses, quand installée à La Bâtie avec ses parents décidés à faire un retour aux sources, Suzanne épouse un agriculteur. De La Bâtie à Puygiron, la distance n’est pas grande et bientôt le couple s’installe dans notre village. « C’est là que j’ai vécu les plus belles années de ma vie » Quand elle fait cette réflexion aussitôt sa fille Françoise obtempère. « Oui nous avons tous été très heureux » ; Un petit village de France comme Puygiron, dans les années 50, était très loin de vivre au rythme de la ville : Nous étions une seule famille, tout le monde se connaissait. Chacun avait son champ, son jardin, ou travaillait chez un propriétaire. Mon mari travaillait chez Monsieur Thévenet. Aux beaux jours on se réunissait le soir sur le parvis de l’église et on chantait, on parlait. Nous les mères, nos enfants. Les trois miens, Jean-Pierre, Françoise et Dominique se sont élevés avec tous les autres. D’ailleurs la bande des enfants était très solidaire car ils se retrouvaient tous sur les chemins de l’école. Pas de voitures pour les emmener. Tous à pied, entre copains. Cela crée des liens.
Suzanne sort des photos et nous montre une belle fête estivale « La ronde des blés » rassemblant tout le village autour d’une course à vélo, de réjouissances célébrant l’été et la moisson. Pour s’amuser on s’est amusé, dit-elle, comme en redécouvrant les images du passé.
Suzanne Brunet, sa fille Françoise et sa petite-fille Céline
Suzanne égrène les noms de personnes aujourd’hui disparues, Nicou et Marcel, Auguste, Madame Mouillac, Madame Gay… non sans une petite anecdote à propos de chacun. Rien à voir avec le village aujourd’hui où les maisons ont été vendues à des personnes extérieures, avec d’autres habitudes de vie. C’est la modernité, c’est la transformation inéluctable du monde, mais il est vrai que quand Suzanne évoque, les retrouvailles quotidiennes au bistrot des hommes (même si parfois ils y allaient fort sur le pastis ), la partie quotidienne de pétanque, les majorettes, la fête du village vraiment familiale avec son chanteur, du genre bal musette, l’entraide entre les agriculteurs qui n’avaient pas encore de matériel sophistiqué, souvent des bœufs, un cheval, un âne alors, les cochons, les poules habitaient dans le village-elle fait rêver à ce bon vieux temps dont elle n’a gardé que l’ensoleillement, la lumière, tout ce qui était bon, la camaraderie, le rire si vite là, la solidarité paysanne, l’efficacité de l’institutrice Mademoiselle Mouillac auprès des enfants, pas toujours commode, la présence réconfortante de Mademoiselle Hélène, l’harmonie entre les gens de statuts différents, le respect réciproque…
Á cette époque les cloches sonnaient, cela rythmait le temps et puis on aimait ça.
Et maintenant, à 91 ans ? Elle garde une énergie étonnante et regrette de ne plus pouvoir s’investir comme elle le faisait dans le comité des fêtes… et jouer aux boules. Mais la vie reste bonne, en famille, avec les enfants et les petits enfants, les souvenirs. Elle aime tout, la musique, la lecture, les jeux à la télévision, les nouvelles du monde. Sa vie n’est plus là-haut mais « la belle vie » reste dans son cœur toujours jeune.
Nicole de Pontcharra - Céline Chaix