Cyril, Hélène et la chèvre en 1941, devant la maison Bintein
Ces souvenirs sont peu précis car j'étais gamin (12 ans)... Je vous les livre en vrac, sans garantie historique, surtout dans la chronologie. Au préalable, petites précisions géographiques pour situer la suite de mon récit : À l'époque, il y avait peu de maisons le long du chemin de Souaille. Nous habitions, ma mère, ma soeur et moi, la maison où vit actuellement ma soeur, Hélène Di Giandomenico. Il y avait un groupe de maisons au « Syndicat ». Cela comprenait la maison de la famille Baud, ainsi que là où est installée une partie de la famille Bayle. Et, de l'autre coté de la D327, un ensemble de bâtiments (entre autres, là où vit actuellement Michel Reboul) et de champs allant jusqu'au ruisseau Le Drôme et appartenant à Marius Théolat. En particulier, le terrain où j'ai fait construire ma maison (à l'angle de la D126 et de la D327) en faisait partie.
Venons-en à mes souvenirs, purement anecdotiques. Dans la dernière semaine d'août 1944 (je pense que c'était le 22 août), alors qu'on chuchotait que « les Américains » arrivaient, on entendit, à la tombée du jour, le bruit caractéristique des chenilles de chars remontant la D327 vers le village et la ferme de Léon Viel (actuellement, celle de Francis Gay). Croyant que c'étaient les Américains, nous nous sommes précipités à travers champ (celui où est actuellement le lotissement « la Tuilière » à l'Ouest, sous le village) pour nous apercevoir qu'il s'agissait de chars allemands (de la 11e Panzer Division d'après les archives montiliennes) qui prenaient position autour du village. Comme à la parade, le chef de char était assis sur la tourelle, les bras croisés. Nous avons rapidement fait demi-tour, en abandonnant nos sourires ravis initiaux...
Ces chars sont repartis le lendemain pour subir des tirs de l'artillerie américaine dans la plaine de Montboucher, entre La Vesque et l'usine Lacroix (Les gens, dans le village de Puygiron, pouvaient suivre ces combats à l'oeil nu, des remparts du côté ouest). À noter que, la veille ou l'avant-veille de l'arrivée des chars, un groupe de F.F.I. avait pris possession au carrefour du transformateur EDF et au pont sur le Jabron, uniquement avec des armes légères, « pour arrêter les Allemands ». Heureusement pour eux, ils ont décroché avant que les chars n'arrivent, pour aller se battre ailleurs dans la plaine de la Valdaine.
Avec un décalage de 24 ou 48 heures (je ne me souviens plus), les chars furent remplacés par des troupes allemandes d'infanterie. Un émetteur radio fut installé dans la cour de la maison de mes parents, sous un gros tilleul. Il fut rapidement repéré par les Américains et un avion vint mitrailler l'émetteur alors que ma mère était en train de remonter un seau d'eau du puit situé juste à côté du tilleul !!! (On n'avait pas alors d'adduction d'eau) ... Par chance, elle ne fut pas atteinte (pas plus d'ailleurs qu'aucun Allemand) ; seule une poule qui béquetait fut tuée à ses pieds.
Nous avions aussi deux chèvres qu'on emmenait paître dans le champ de Marius Théolat (celui où j'ai fait construire ma maison). Chaque matin, on attachait les chèvres à un piquet, au bout d'une chaîne et on récupérait les deux bêtes le soir.
Le lendemain (ou le surlendemain ?) de l'arrivée des troupes allemandes, les Américains ont lancé un tir de barrage d'artillerie. Les obus ont commencé à tomber vers Rochefort, puis se sont rapprochés des « grandes carrières » pour atteindre finalement la route d'Espeluche (D126), vers le transformateur EDF. Cela dura sûrement moins d'une heure, mais nous parut très long... À la fin de la journée, quand tout fut bien calmé, ma mère m'envoya chercher les chèvres dans le champ de Théolat. En arrivant là-bas, on se serait cru « à Verdun » : à la place de l'herbe, ce n'était que des entonnoirs de terre, les uns sur les autres... Et, au milieu de cet enchevêtrement, les deux chèvres toujours attachées, perchées sur un tas de terre et sans une blessure ! Elles ont bu plus d'un seau d'eau chacune quand je les ai ramenées à la maison. Eh bien, ce chamboulement du sol est redevenu visible lorsque j'ai fait décaisser le terrain pour implanter une piscine en 2004. Sur la photo ci-dessous, il est bien visible que la couche claire de « griffe » est interrompue par des entonnoirs en V, de terre sombre (le terrassier qui a fait l'excavation a été d'accord avec cette interprétation du profil de la coupe).
Pour en finir avec cette période, je crois qu'il y a eu plusieurs Allemands qui sont morts sur le territoire de la commune (dont un, vers la chapelle St Bonnet) pour un seul Américain blessé près de la ferme de Léon Viel et cela, bêtement : il a dévissé d'un poteau télégraphique en posant une ligne de campagne et s'est cassé une jambe.
En partant, les Allemands ont abandonné une quantité énorme de matériel et d'armes et il est miraculeux que les gamins que nous étions n'aient pratiquement pas eu d'accidents. À ma connaissance, seul un garçon de l'Assistance publique, de 13/14 ans, qui travaillait chez Almoric et dont j'ai oublié le nom a voulu faire éclater une roquette type « bazooka » contre le mur de l'église... Ce qu'il réussit à faire après plusieurs tentatives et ce qui eut pour conséquence une entame du mur de l'église (à peu près au niveau de l'emplacement actuel du monument aux morts) et, par miracle, un seul éclat dans la cuisse du garçon, mais qui avait fait une blessure assez vilaine.
Propos de Cyril Tchoubar recueillis par Dominique Rault
Publié dans Le Giron n° 15 (Janvier 2009)