Lorsque je suis arrivé dans ma belle-famille à Puygiron, j'ai découvert une activité qui m'était inconnue. Ma belle-mère pratique une activité du mois de novembre au mois de mars des plus insolites, mais qui avec le temps me paraît forte intéressante, la recherche de la truffe dans la plantation de chênes autour de la maison. Les après-midi de beau temps, ma belle-mère part avec une petite sacoche en bandoulière et un petit piolet arpentant avec beaucoup de patience, tête scrutant le sol, les allées de chênes à la recherche de la mouche annonciatrice du précieux trésor enfoui sous la terre. Le jeu réside dans l'observation de l'envol de la mouche par beau temps ensoleillé sans vent et sans gel. Vous prenez une fine baguette d'arbuste et vous commencez à balayer la surface du brûlé. Il faut avoir des qualités de patience et d'observation, car la mouche s'envole facilement et vous n'avez pas le temps de repérer l'endroit exact. Il faut donc revenir plus tard et en cas de doute, attendre qu'elle se repose une nouvelle fois au même endroit. Elle a la particularité d'avoir un vol stationnaire. Cela évite en plus de labourer le terrain n'importe où et de détruire les mycorhizes. Quand vous trouvez, vous humez la terre pour confirmation et vous rentrez à la maison montrer votre trésor, le nez, les mains et les ongles terreux Au fil du temps la recherche de la mouche a été remplacée par le chien reniflant avec beaucoup d'ardeur les contours des troncs de chênes. Animal dressé depuis tout petit il s'emploie avec fougue pour trouver le précieux trésor en échange d'une récompense de son maître.
La truffe est un mets délicat et de la cuisine au commerce, il n'y a qu'un pas, la vente est très codifiée et dans notre région plusieurs marchés existent. Le fourmillement du Marché du vendredi à Carpentras en Provence, sur la petite place devant le Bar de l'Univers, un attroupement d'hommes et de femmes, agglutinés autour de tables jaunes, semblent tenir conciliabules. Des Rabassiers, à l'abri des regards indiscrets, le visage ombré par un chapeau, carapatés contre le Mistral dans de bonnes vestes épaisses et sombres, viennent vendre, selon un protocole bien établi, leur précieuse récolte .La truffe, c'est la magie de la nature, l'écologie depuis des siècles, l'expression vivante de terres non polluées. Nous sommes au célèbre Marché aux Truffes de Carpentras, truffes exposées dans leurs écrins d'osier (autrefois dans de petits paniers appelés toilettes) ou dans des sacs couleur argile frappés au blason de la ville. (Le non moins connu Mors de Carpentras). Nul besoin d'artifice, dès qu'on approche, dans son manteau de terre, la truffe (rabasse en provençal) envoûte nos narines. Sortie du ventre de La Terre, elle est le seul produit de luxe vendu en l'état. Ainsi dans sa tenue campagnarde, à l'image des rabassiers, elle nous fait sienne, nous chatouille les papilles.
Qu'il soit paysan, profession libérale, fonctionnaire ou autre, une seule passion, la truffe ! Il n'y a pas d'hommes et de femmes, seulement des amoureux de la truffe, de la nature, entretenant des liens de complicité avec leur chien. Celui qui attrape le virus est " mycorhizé " à vie. Il étudie, se documente, c'est bien sûr un gourmet aimant se délecter de truffes. Il aime les faire découvrir et prêche pour faire naître des adeptes. C'est un écologique né, un terrien dans l'âme, généralement observateur, curieux, patient et persévérant. Il plante en attendant non seulement que sa plantation " donne" mais il est aussi stoïque en pensant que si cela ne produisait pas, il aura participé généreusement au reboisement de notre planète. Il plante pour lui, pour ses enfants ou ses petits-enfants. Ce sont vraiment des êtres de terroir, faisant partie d'une grande famille d'initiés aimant se retrouver sur le parvis des marchés aux truffes. Pour se protéger du mistral, le rabassier est souvent vêtu d'une veste et pantalon de velours, chapeauté bien sûr. Vêtements confortables, solides à toute épreuve. S'il a la chance d'être un producteur ou rabassier amateur, il possédera certains instruments : La musette, gibecière, sac en toile de l'armée pour mettre la récolte et surtout les gourmandises du chien. Petite barre de fer recourbée dite "lou fougnié" ou piolet au bec allongé dit "lou picoulum" ou petite fourche à deux dents dite "luchet", ou encore crochet appelé "fouji". Mais aussi fourchette recourbée en griffe, simple tournevis et j'en passe, l'imagination est toujours là ! De nos jours, l'un ne va pas sans l'autre. L'avantage du chien est qu'il possède un flair exceptionnel mais qu'il ne s'intéresse pas particulièrement aux truffes, préférant la gourmandise que lui offre son maître. Le plus passionnant est de l'éduquer soi-même. L'idéal étant de choisir un jeune et petit chien. Les trufficulteurs gardant jalousement les secrets de dressage, chacun aura ses propres méthodes. L'essentiel, en tout cas, est d'associer la truffe à une récompense, et avoir des rapports de jeu et de complicité avec son chien.
En conclusion la Nature nous révèle ses plus beaux trésors pour peu que l'on vive en harmonie avec les éléments naturels ; ils sont là à portée de main, il faut savoir les observer et en prendre soin, alors la Nature est généreuse…
Serge Teyssier