Sur la photographie murale de sa chambre, Lisbeth Meyer commence à marcher retenue par sa jolie maman. Elle a encore trois ans à connaître la douceur d’un foyer. Son père exerce le métier de policier. Sa mère s’occupe d’elle et de son frère aîné Lucien. La photographie de la mère souriante pérennise le souvenir du bon temps. Car elle la perdra très vite et sera élevée par sa tante en Alsace loin de son père et de son frère qui font partie de ces parisiens exilés d’Alsace depuis plusieurs générations. Elle parle donc alsacien quand elle est petite et apprend le français quand elle entre à l’école.
Aujourd’hui Lisbeth ne marche plus. On va la voir dans la pièce d’un rez-de-chaussée éclairé par une petite fenêtre, seule pièce de la maison où elle puisse se tenir car avec son fauteuil roulant elle n’a pas accès à l’étage. Cette femme courageuse clouée à son fauteuil par la sclérose en plaques est puygironnaise depuis les années soixante. Elle se souvient de l’ouverture du restaurant la Cigogne, le 1er août 1965, événement marquant pour le petit village découvert par la famille Meyer invitée par leurs amis Peson quelques années auparavant.
- Nous avons tous aimé le village, j’avais neuf ans la première fois que je suis venue. Le village était complètement différent, plus rural, il y avait les poules de la mère Mouillac, on entendait le coq, les vieux qui bavardaient assis sur les bancs, nous, les enfants on courait partout, on jouait à cache-cache dans les maïs…
Quand on lui demande si la restauration et l’hôtellerie étaient une vocation, elle s’en défend et avance l’autorité sans contestation possible de sa belle-mère, l’épouse de son père, qui décidait pour tout le monde. Certes, son père était fin cuisinier amateur et Lulu, son frère, avait fait une école de pâtisserie. On ne lui a pas tellement demandé son avis ni à elle ni à son frère. Tous se sont mis au travail. Labeur, fatigue, pour que l’affaire marche, personne ne s’écoutait. Et le commerce a bien marché grâce à l’énorme investissement de chacun.
- Combien de vedettes sont passées à la Cigogne, d’Evelyne Dhéliat à Adamo ! Même François Mitterrand est venu manger notre cuisine.
La vie a passé vite. Tôt levés, tard couchés, jours après jours les mêmes travaux, avec la satisfaction de l’accomplissement, d’une harmonie avec les villageois, les clients de passage qui revenaient, le bonheur que donnent aussi les animaux si chers à son coeur, Ralf, Olaf. Pas beaucoup de temps pour autre chose.
Lisbeth se souvient des deuils, la belle-mère, le père, Lucien, le frère si proche. Et puis la maladie est venue, insidieuse, la rendant de plus en plus dépendante. Les opérations, les cures se succèdent. Elle a toujours fait face sans se plaindre. Elle surprend tout le monde par sa bonne humeur, son courage. Les amis viennent lui donner un coup de main. Quand il fait beau elle roule son fauteuil jusqu’au Café la Cigale à quelques mètres pour bavarder avec Éliane et oublier qu’elle vit dans 25m2.
- J’ai une seule pièce pour manger, dormir, faire ma toilette, me tenir, alors que je possède un terrain de 2500m2 en bas de Puygiron. Pas moyen d’obtenir l’autorisation de construire. Mais je me bats, depuis sept ans ! J’ai bon espoir car je ne peux plus vivre dans ce trou sans lumière.
Comment ne pas comprendre son désir d’autant plus que la clause prétexte des bâtiments de France n’a guère été respectée autour du village et pour une fois une autorisation exceptionnelle serait tout à fait légitime. Lisbeth ne peut continuer à vivre comme elle le fait.
Le mépris des autorités qui tardent à donner leur aval à la construction d’une petite maison de plain-pied est inacceptable. En espérant des jours meilleurs, Lisbeth poursuit son combat contre le mal, et l’indifférence des fonctionnaires de l’État. Son chat Oscar a quinze ans, mais reste vert ! Il est son ami, ne la quitte pas.
Elle évoque les gens qu’elle aime, sa belle-soeur et les filles de Lucien, le bébé à naître, les amis. Elle est tournée vers les autres, optimiste, sans l’ombre d’une rancoeur vis-à-vis d’une vie qui a été dure et qui reste à affronter chaque jour de son fauteuil de malade. Exemplaire leçon de volonté, d’endurance, et de foi dans la vie à tout prix.
N. P.
Publié dans Le Giron n° 6 (juillet 2004)