Pierre Laurent et sa petite-fille Marie
Il existe à Puygiron des lieux bénis des dieux où non seulement on retrouve la vraie campagne, les chemins caillouteux sans goudron, les talus herbeux, mais où, les habitants ont enrichi par leur amour de la nature, le patrimoine arboricole. On entre sur le terrain sans clôture de l’ancienne tuilière, appartenant à Pierre Laurent comme dans un parc naturel tant la plantation des arbres, mûriers, platanes, résineux a été faite avec goût, sens de la respiration de l’espace. Le Vieux Moulin, une histoire ancienne, nous dit le propriétaire des lieux en désignant une ruine proche où son grand-père travailla comme meunier de Puygiron de 1904 à 1907. C’est toujours un peu triste un moulin qui arrête de tourner. L’eau du canal, les sacs de blé ne sont plus qu’un souvenir, comme le va et vient joyeux des agriculteurs.
- On venait moudre au vieux moulin et ensuite on portait la farine au village chez le boulanger, le Père Mouillac, qui faisait le pain. Pierre Laurent, deux fois veuf, porte ses 83 ans, avec quelques soucis de santé habituels à cet âge, mais conserve sa vitalité intérieure, son amour pour le genre humain et la curiosité de l’avenir du monde. S’il n’est pas né à Puygiron, mais à Marcilloles, dans l’Isère, il a un attachement fort pour le village qu’il fréquente depuis son plus jeune âge.
- Je suis d’une famille de cinq enfants, et chaque fois qu’il y avait une naissance, mes parents m’envoyaient chez mon grand’père.
Mon grand’père et mon père avaient eu la chance de sortir vivants de la guerre de 1914 qu’ils avaient faite comme les hommes de leur génération. Les soucis n’ont épargné personne.
Quand le moulin a brûlé, le grand’père s’est établi dans la tuilerie qu’il a retapée et a été engagé comme contremaître chez les nouveaux propriétaires du moulin, les Lacroix. Vie toujours campagnarde avec quelques animaux, la vigne… Pour l’enfant grandissant, le bonheur. Mais bientôt l’horizon s’assombrit, et il fête ses dix sept ans pendant la guerre.
Comment voit-il aujourd’hui son adolescence perturbée ? Il sourit et reste serein devant la question.
- Mais pour moi c’était l’aventure possible, l’engagement qui permettait d’échapper à une morosité.
Il a son brevet élémentaire, pas de vocation particulière si ce n’est son goût du monde, des gens. Il est profondément chrétien, habité par un sens de l’altérité, aime aider, partager, c’est son éducation. La famille est maintenant installée à Puygiron. Le père travaille à Montélimar comme agent immobilier.
- J’étais très patriote. En 39 j’ai pleuré. Autour de moi les anciens étaient très amers et ma génération a été nourrie des discours des anciens combattants qui ne voulaient plus de guerre.
On est en 1942. Le hasard lui fait rencontrer un homme exceptionnel l’abbé Magnet, curé à La Bâtie Rolland, aumônier des maquis, professeur de philosophie, originaire d’une famille de Dieulefit. Il sera tué à Romans à la libération, et a une place qui porte son nom à la Bâtie Rolland. Il fait entrer Pierre dans le réseau des jeunes résistants qui s’impliquent dans des opérations à risque.
- On a eu des parachutages d’armes à la Touche, à Montjoyer, à Valence… Ah comme c’était merveilleux ces parachutes qui éclataient comme des fleurs, à deux heures du matin… Je me souviens de la récupération d’armes cachées à Saint Bonnet. Elles avaient été parachutées à Saint Gervais. Nous savions qu’il fallait être discrets car on risquait toujours des délations et il y en a eu à Montboucher mais ce n’est pas venu de quelqu’un originaire du pays. Pourtant combien de jeunes ont disparu tués dans la résistance ou au STO, dans les bombardements en Allemagne. En 1943 ma classe a été affectée à des chantiers de jeunesse à Orange et j’ai opté pour une formation chez les chasseurs alpins. J’ai été affecté à la météo. J’ai ouvert le poste météo de Lus-La-Croix-Haute. C’est un beau souvenir, la découverte de la montagne, les ballades, l’amitié partagée. Avant le 6 juin 44 nous avions déserté les chantiers de jeunesse et dès qu’on a appris le débarquement nous restions sur les terrains de parachutage.
La guerre finie, Pierre se sent désemparé. Que va-t il faire de sa vie ? Un peu de secrétariat de mairie, de travaux agricoles, ne la remplissent pas. Et surtout ne répondent pas à ce besoin ardent de servir, de construire. Avec son engagement de résistant il a laissé passer sa chance de présenter le concours d’instituteur. Il trouve dans le mouvement des éclaireurs de France une ouverture pour exercer ses talents d’homme d’action au service des autres. Il s’oriente alors vers une formation d’éducateur dans une des premières écoles spécialisées. Il découvre la grande misère des maisons de correction de l’époque où petits délinquants, enfants caractériels, orphelins étaient rassemblés dans des conditions de vie et d’éducation déplorables, aux mains d’équipes incompétentes et inhumaines. Il découvre là sa vocation et un milieu de vie, une équipe de jeunes gens humanistes comme lui, sportifs, pédagogues formés, optimistes quant à la réussite de leurs efforts et optimistes aussi sur la capacité des jeunes à changer quand on les aime et les respecte. Il est entouré de personnalités qui, comme lui, sont engagées pleinement dans ce qui est une sorte de sacerdoce. Marié, sa femme partage l’aventure. Les deux enfants naissent. En 1955 il sera affecté à la direction d’une maison pilote, un château en Seine et Oise, mis à la disposition par le Ministère de la Santé. Presque trente ans de sa vie seront ainsi consacrés à l’enfance et l’adolescence en difficulté.
- Nous sommes tous restés frères, nous avons réussi grâce à cette entente fondée sur des valeurs partagées. Aujourd’hui je suis souvent irrité par l’attitude des adultes vis-à-vis de la jeunesse. Essayons de la comprendre. Nous ne sommes pas étrangers au sentiment d’exclusion qui les pousse à la violence.
On quitte Pierre Laurent avec peine. Il a beaucoup à dire. Ce sera pour un prochain chapitre. Des mots glanés, en conclusion, qui sonnent comme une comptine. À développer, plus tard.
- J’ai maraudé à Puygiron, les figues, les raisins… Couru dans les carrières. Aimé les mûriers…. Je me souviens de la soie, des premiers immigrés, les ouvriers agricoles qui apportaient leur bras, la xénophobie, déjà, même ceux d’Ardèche, on les regardait du coin de l’oeil « les ardéchois »… Je regarde le devenir de Puygiron, j’y pense. J’ai l’image d’un hameau d’anciens, au milieu de nous tous…
N. P.
Publié dans Le giron n° 10 (juillet 2006)