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8 octobre 2008 3 08 /10 /octobre /2008 15:12


Pierre Viel disait : Les agriculteurs sont les artisans de la nature. Avant les années 50, Puygiron était une commune où dominait l’agriculture. Tout le monde était agriculteur… Au Levant, on comptait une dizaine d’exploitations de deux à quinze hectares. Aujourd’hui, il reste sur toute la commune trois exploitations agricoles, sous contrat et très contrôlées.

Toutes les générations vivaient ensemble à la ferme et chacun y travaillait. C’était l’aîné des enfants, marié, qui devenait le chef de l’exploitation, même si l’aïeul continuait à garder une certaine autorité. Les plus jeunes frères et soeurs restaient à la ferme jusqu’au service militaire pour les garçons, et au mariage, pour les filles… Souvent, celles-ci travaillaient quelques années, le soir, à l’usine Lacroix pour gagner l’argent du trousseau.

Après avoir nourri leurs tout-petits au sein, les mères avaient peu de temps à consacrer aux enfants qui trottaient derrière elles dans la ferme et qui apprenaient vite à être utiles ! En Ardèche, après l’école, Jeanne Sauvan se souvient qu’elle devait retourner le foin, coupé à la faux, un jour sur deux pour le faire sécher et l’entasser en petits tas, les cluches. Et s’il pleuvait, il fallait vite le rentrer en courant sur des terrains en escaliers.

On vivait de la production de polyculture (céréales, betteraves pour la sucrerie d’Orange, lavandin, pommes de terre, vigne) et du petit élevage (basse-cour, lapins, deux ou trois cochons, quelques chèvres ou moutons) de la ferme. On cultivait aussi des betteraves vertes qui servaient à engraisser les cochons en hiver. Dans le quartier du Levant, il y avait seize vaches dont onze chez Pierre Viel, une chez Marius Guérin, deux chez M. Boisse. Il y avait souvent aussi un cheval, un mulet (grand mulet du Poitou), et un ou plusieurs boeufs. À l’étable, ceux-ci étaient âgés en moyenne de 3 ou 4 ans. Le maquignon passait échanger des petits veaux d’un an, dressés pour l’attelage, contre les boeufs plus âgés, bons pour la viande. Les hommes nourrissaient chevaux, vaches, brebis tandis que les femmes nourrissaient lapins, poules et cochons.

Dès le plus jeune âge, les femmes étaient au travail, et même quelquefois au détriment de l’école… Elles se levaient tôt, comme les hommes, au lever du soleil (l’électricité arriva en 1928 à Puygiron) et préparaient le café à partir des grains qu’elles moulaient. Elles allumaient le feu dans la cuisinière, ou la cheminée, allaient au puits chercher l’eau, et faisaient un rapide ménage avant de préparer les enfants pour l’école. Elles mettaient en place le repas pour midi avec les pommes de terre et les légumes du potager en laissant mijoter la marmite sur le bord de la cuisinière. Puis, elles allaient traire et nourrir les brebis dont elles utilisaient le lait pour faire les tommes. Le lait ne pouvait pas se conserver longtemps car il n’y avait pas de réfrigérateur… Elles allaient nourrir les lapins : le matin avec du fourrage sec, et l’après-midi, avec de la luzerne ou de l’herbe ramassée dans les champs. Elles donnaient aussi le grain à la basse-cour. Il fallait penser à changer le fumier des clapiers, de la porcherie, et de l’étable, une fois par semaine. L’après-midi, les femmes emmenaient le troupeau de chèvres ou de moutons dans les champs et les bois. Monette Viel apportait le lait le soir, à bicyclette, jusqu’au transformateur du croisement de la route d’Espeluche où l’attendait le camion de la coopérative… Les Puygironnais venaient chercher, à la ferme Viel ou Almoric, le lait, le matin ou le soir, avec leur petit pot en fer-blanc ou plus tard, leur bouteille. Se vendait aussi à la ferme Viel, un peu de vin ordinaire.

Les femmes devaient nourrir aussi les saisonniers de passage à la ferme … Chaque année, fin avril, on faisait venir des émarieurs d’Ardèche. Leur béret vissé sur le crâne, ils séparaient les graines germées des betteraves.

Ils travaillaient 10 heures par jour et couchaient à la ferme. Monette se souvient qu’un après-midi, elle avait préparé des châtaignes et les avaient proposées aux Ardéchois... mais ces derniers avaient refusé, quelque peu offusqués, car « les marrons, en Ardèche, on les donne aux cochons ! » Pour battre le blé, Monette se rappelle que 16 ouvriers restaient pendant deux jours. Après leur dur labeur, ils se lavaient dans le bassin de la ferme, et malgré la fatigue, ils riaient et chantaient toute la soirée…

La grande lessive se faisait, en général, tous les quinze jours. Le linge blanc était mis à tremper dans de l’eau très chaude pour le décrasser. Parfois, pour le faire blanchir, on le passait dans la cendre et le mettait à bouillir dans la lessiveuse. Pour le rinçage, on allait au Jabron, en portant la lessiveuse avec la brouette (ou on se servait du bassin de la ferme). L’eau courante n’est arrivée à Puygiron qu’en 1952. Pour faire la vaisselle, on n’utilisait pas de détergent et surtout, on gardait l’eau grasse pour la donner aux cochons. Pendant leur « temps libre », les femmes tricotaient des chaussettes, raccommodaient les vêtements de travail. Le dimanche, elles allaient à la messe et quelquefois elles rencontraient leur voisine devant une tasse de café. Elles allaient chercher le pain tous les deux jours chez le boulanger qui comptabilisait sur un cahier ce qu’elles apportaient en blé ou en farine. Elles se rendaient à la foire de Montélimar trois ou quatre fois par an, et à la fête du 15 août pour admirer le feu d’artifice…

La faucheuse mécanique arriva vers les années vingt… La lieuse coupait et faisait des gerbes ficelées par l’habilleuse. Les gerbes étaient ensuite regroupées en gerbiers, puis en grands gerbiers (jusqu’à 200 gerbes de foin) ou feniers pour l’orge et l’avoine. Puis apparut le semoir mécanique tiré par les mulets, « laissant de côté, le geste auguste du semeur » (je cite Pierre Laurent). Avant 1940, il y avait à Puygiron, deux ou trois tracteurs à pétrole. Pierre Viel acheta son premier tracteur à essence en 1948, « le petit gris », sur lequel Monette apprit à conduire ! La ferme Almoric avait aussi un vieux tracteur, mais qui marchait peu… Après 1948, on changeait de tracteur, en général, tous les 10 ans. Et les assurances protégèrent les agriculteurs à partir de 1952…

Tout le monde donnait un coup de main pour la moisson, les amis, la famille et les voisins… On faisait venir des entrepreneurs pour battre le blé avec leur moissonneuse : M. Béroule de la Bâtie-Rolland, M. Chaix de Montboucher. Pierre Viel fut le premier à investir dans une moissonneuse batteuse. On disait que cela cassait les grains, mais il était toujours le premier à aller de l’avant ! De grands sacs de 100 Kg se remplissaient. La batteuse crachait la paille. Et l’on faisait, et tout le monde savait le faire, des paillers bien pointus, bien serrés : autour d’un mât, on entassait la paille sur six ou sept mètres de haut. Les paillers pouvaient rester dehors. Comme la paille était bien serrée, seule la surface du pailler noircissait au fil des pluies, mais l’intérieur restait bien sec.

Vers les années 50, la révolution industrielle a fait éclater la cellule familiale : les jeunes sont partis travailler à la ville. Et nous sommes entrés dans l’ère de l’individualisme où chacun peut se croiser dans sa cage d’escalier, sa rue, et même dans son village, sans prêter attention à son voisin… Depuis 1953, tout a bien changé, aussi, pour les semences : beaucoup de nouvelles variétés sont nées, et bientôt les biocarburants vont apparaître…

 

Cet article a été rédigé à la suite d’un après-midi très agréable d’échange, de souvenirs et de fous rires, avec quelques anciens de Puygiron, à l’esprit encore si vif. Les photos m’ont été confiées par Jeanne Sauvan et Léa Guérin.

Merci tout particulièrement à vous, Jeanne, Monette et Pierre. Et je compte encore sur vous, pour la prochaine fois.

D. R.

Publié dans Le Giron n° 11 (janvier 2007)

 

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Le Giron, bulletin semestriel

Un bulletin pour quoi faire ? Pour se rassembler le temps d’une lecture, se dire qu’on fait partie d’un village et qu’on a des intérêts, des souvenirs, des projets communs. Pour donner envie aux gens de réfléchir à ce qui se passe autour d’eux, à parler à leur tour car seul le dialogue fait avancer le monde.

Le village perché de Puygiron

                                                               Aquarelle de Morice Viel

Belvédère de la Drôme provençale, situé sur un mamelon dominant le Jabron et la plaine de la Valdaine, offrant un très beau point de vue. Au hasard des ruelles, on admirera portes et fenêtres encadrées de pierres sculptées. Le premier village médiéval était situé à Saint-Bonnet, près du prieuré carolingien, sur le site d’une villa gallo-romaine. Ce premier village fut abandonné au XIIIe siècle et les habitants se réfugièrent sur « le puy » sous la protection du château.

Le château : construit fin XIIe / début XIIIe siècle, construction rectangulaire flanquée de quatre tours, l’une d’elles formant donjon. À proximité, la salle des gardes, avec une énorme cheminée et des voûtes retombant sur un énorme pilier central. Une cour intérieure avec une tour Renaissance hexagonale possédant une porte ogivale et escalier à vis. Le château a été classé monument historique en 1957.

L’église, de style roman, construite en 1867. La chapelle romane Saint-Bonnet : datée du XIIe siècle, église paroissiale jusqu’en 1770, elle présente une abside en demi-cercle voûtée en cul-de-four, un chœur surélevé, une nef unique de trois travées, un escalier à vis qui conduisait à un clocher aujourd’hui disparu. La pierre de Puygiron a été exploitée jusqu’en 1914.

Puygiron a eu son chantre, le félibre Morice Viel (1881 - 1929).

D'après Jeannine Laurent (Etudes drômoises, n° 3, année 2000, p. 41)

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