Comment se définir aujourd'hui quand on est l'héritier de plusieurs générations d'agriculteurs comme Bruno Viel qui cultive ses propres terres et celles de certains de ses voisins qu'il loue, soit cent cinquante hectares.
Ressent-il une appartenance à ce pays, à ce village ?
Tout a donc beaucoup changé !
- Oui, tout a changé. Autrefois une famille pouvait vivre avec trente hectares. On faisait du blé, de la lavande. Une culture diversifiée. On n'arrosait pas. On payait les employés en nature ! La vie a changé à cent pour cent. On fait de la semence, ce qui nécessite l'arrosage. On doit mécaniser, c'est une course à l'agrandissement et au rendement. On n'y échappe pas et on n'est jamais libre. D'ailleurs, un exemple, on ne monte plus au village, comme on le faisait pour faire une pétanque.
Et l'écologie dans tout ça ?
- Tout le monde est un peu écolo. Mais on ne peut faire des céréales biologiques, cela revient trop cher. Ce n'est pas rentable. On fait attention aux traitements, on les limite à l'indispensable. On sait ce qu'il ne faut pas utiliser et on est respectueux de la règle. La preuve, notre eau de source, ici, ne contient pas de nitrates. Si elle est polluée c'est par les fosses septiques. Par contre l'eau du Rhône est polluée !
Il y a bien des moments de détente ? À ce moment, c'est la femme de Bruno, Rita, qui intervient :
- Heureusement qu'il y a les ballades dans les bois, les champignons et les voyages...
Car Rita voyage, seule ou avec ses petits-enfants. Sa famille est originaire de Malte la lointaine et elle a le goût de la découverte d'autres pays, elle évoque le Kilimandjaro et la Tanzanie dont elle garde un si bon souvenir. Avec Rita, nous parlons de l'agrandissement du village, des nouvelles constructions, du changement.
Elle pense qu'il faut préserver la qualité de la vie, les espaces naturels, ne pas tout baliser non plus pour les promeneurs, garder le caractère sauvage et insolite des lieux qui permettent justement un peu d'aventure et un ressourcement, ne pas goudronner à outrance. Mais il faut aussi tenir compte du fait, dit-elle, que les agriculteurs ont parfois besoin de vendre leurs terrains agricoles, soit pour installer leurs enfants, soit pour s'assurer une retraite plus confortable. Il faut donc trouver un compromis entre leur volonté de changement et la protection d'un site qui nous plaît justement parce que ce n'est pas encore la banlieue de Montélimar.
Sur ce point, nous avons eu un avis pertinent de deux jeunes femmes qui vivent à Puygiron et travaillent à Montélimar, Karine Bintein et Diane de Pontcharra : Évoquant le développement du village, elles insistent sur la manière de traiter l'urbanisation.
Recréer un hameau avec sa cohérence, à la manière des villages d'autrefois au lieu d'un alignement de maisons les unes à côté des autres et souvent séparées par des murs. Petite place, jardin, café... Des séparations ? Oui bien sûr, mais des haies par-dessus lesquelles on peut se parler plutôt que des murs de prison. À réfléchir...
Bruno Viel parle aussi de la dégradation du beau plateau autrefois sauvage de Montjoyer et de Rochefort avec l'installation de vingt-trois éoliennes et les hordes de curieux qui viennent en badauds.
On peut conclure que rien n'est anodin, qu'il faut être d'une vigilance extrême quand on entreprend à petite ou à grande échelle. Un paysage, un village, peut être défiguré par une accumulation de grandes ou petites interventions malvenues. Tout est important, le choix des matériaux, les formes, les couleurs. Imaginons Puygiron encerclé de lotissements anarchiques, avec des voitures sur tous les chemins. Qui aurait envie d'y vivre. Il faut avoir en tête la beauté, l'harmonie, la mémoire aussi du passé.
Respecter les arbres plantés, il y a cinquante ans ou plus, les soigner, conserver les buissons, abris des oiseaux, les cours d'eau, et les sentiers qui en permettent l'accès, les landes et les collines vierges pour que le regard s'y repose.
N. P.
Publié dans Le Giron n° 12 (juillet 2007)